Chapitre trois (Suite G)
La construction de la Centrale était réalisée selon les plans guides de l’EDF, et tous les plans détaillés d’exécution devaient être validés par le bureau d’études de EDF Marseille, représenté sur le site par Messieurs Souchon et Galerne.
L’équipe technique du CEB du site pour le suivi quotidien des travaux était composé de messieurs Rajen Chowdharry, Sylvio De Lapeyre et France Ng et de Madame Marie Claude Chang comme secrétaire. J’étais pour ma part présent à toutes les réunions hebdomadaires de Chantier pour le suivi de l’avancement des travaux, et responsable de la gestion administrative du projet à partir du siège du CEB à Curepipe. Le représentant résident de New Sulzer Diesel était Monsieur LeGloanec assisté d’une équipe d’ingénieurs et de techniciens de divers corps de métiers. Diverses entreprises Locales a l’instar de water research, Taylor Smith, Forges Tardieu...furent sollicitées par le Maitre d’œuvre pour différentes tâches.
La principale difficulté pour la réalisation du Génie Civil était la nature géotechnique du site. Le Consultant Mécasol avait préconisé l’utilisation des micro pieux, technologie encore non utilisée à Maurice, pour le report des charges statiques et des sollicitations dynamiques à la couche de basalte altérée situé a moins trente mètres par rapport au niveau du sol. En bref, il s’agissait d’un faisceau de tubes d’acier creuses ancrés dans la couche de basalte par l’injection d’un coulis de ciment. Une entreprise spécialisée, avait été sollicitée pour l’exécution de cette tâche délicate supervisée par monsieur Deguen de L’EDF. Afin de déterminer l’ancrage pour la réalisation d’un bulbe de ciment au pied de chaque pieux, l’outil de forage était équipé d’un dispositif de mesure du couple résistant du substrat, d’où la nécessité d’une supervision rigoureuse. Cet exercice fut l’objet de moult tiraillements entre l’ingénieur et le responsable de l’entreprise spécialisée, ainsi que des consultations téléphoniques en temps réel avec le Consultant à Paris.
J’ai été personnellement témoin d’un incident particulier a deux heures du matin, quand les batteries de téléphone portable étaient à plat rendant impossible tout contact avec le Consultant. Monsieur De Lapeyre, l’inspecteur Génie Civil du CEB avait eu l’excellente idée de réaliser une maquette à l’échelle 1 :75 d’un massif moteur pour illustrer cette opération. Cette maquette est exposée aujourd’hui dans la salle de conférence de la Centrale. Malgré des difficultés, le Génie Civil de la Centrale fut réalisé dans les délais du planning initial.
Un incident majeur fut toutefois enregistré lors du montage des deux moteurs, quand il fut décelé que les soies des paliers de l’arbre manivelles avaient subies une dégradation importante lors du transport maritime par un défaut de conditionnement approprié. Deux solutions furent envisagées à savoir un usinage in-situ par les spécialistes, ou un remplacement pur et simple des arbres manivelles pesant chacune plus d’une centaine de tonnes. Après consultation avec l’ingénieur, j’avais opté pour la deuxième solution malgré un
retard conséquent sur le planning, et de lourdes pénalités contractuelles au maitre d’œuvre NSD.
Je me souviens que cet incident fut l’objet d’une question parlementaire à l’Assemblée Nationale, et qu’acculé par un député de l’opposition, le Ministre de tutelle avait fait le choix de me blâmer pour mon choix.
Deux arbres manivelles furent ainsi commandés à une entreprise basée à Kobé
au Japon, avec pour conséquence un retard de six mois dans la mise en service
des moteurs. Le premier moteur fut mis en marche pour les premiers essais le 9
septembre 1992 (jour de la fête du Père LAVAL), et couplé au réseau le 25
Septembre. (Fête de la St Louis)….de bonne augure pour une exploitation de
quatre décennies sans encombres majeurs, comme me l’avait prédit Monsieur
Ken Newcomb.
Dans le sillage de cette première phase, un nouvel appel d’offres devait être
logiquement lancé mais cette fois pour un moteur de 30MW avec Génie Civil
pour trois moteurs identiques. Un tel projet était alors possible dans la mesure
ou les Autorités Portuaires (MMA) avaient complété l’exercice de comblement
sur la mer côté ouest du site.
Toutefois, une société indépendante YTL Corporation, avait alors approché le
Ministère de tutelle pour l’agrandissement de la Centrale sur une base de
producteur indépendant (IPP) avec des références de Centrales au Kenya et en
Tanzanie.
L’argument mis en avant pour ce changement de stratégie étant que le CEB n’aurait plus besoin de solliciter un emprunt important dans le contexte de son lourd endettement. Bien évidemment je ne voyais pas d’un bon œil un tel changement ou on aurait sur le même site deux exploitants différents, et réduisant considérablement le poids du CEB dans la production d’Energie du Pays. Le Ministère décida d’un exercice de pré-sélection international pour choisir 20 candidats potentiels pour participer à un appel d’offres. Un comité regroupant les officiels du CEB et du Ministère était mis sur pied sous la ferrule de Monsieur Bikoo. Mon collègue et ami Darma Veeragoo, alors responsable de 2Département de l’audit Interne du CEB m’accompagna dans ce Comité. A l’issue de l’exercice, La Société YTL était toute juste après les 20 premiers candidats, mais il fut décidé de la repêcher pour faire partie des sélectionnés. L’appel d’offres fut ainsi lancé comme prévu.
Un Consultant Américain fut aussi approché pour une assistance au Comité. A la réception des soumissions, une grave divergence de vue surgit entre le CEB et les autres membres du comité. Mon collègue et moi étions d’avis que la soumission de YTL était irrecevable, car principalement conditionnelle à la conclusion d’un accord avec un motoriste particulier. Le Consultant Américain fut aussi de cet avis, mais nous étions une minorité de trois membres du comité seulement. Il fut alors décidé de faire appel au bureau du Directeur des Poursuites Publiques, (DPP) pour trancher le diffèrent, et c’est ainsi que Monsieur Iqbal Magooa(Aujourd’hui Juge à la Cour Supreme) fut sollicité, interrompant ses vacances. A notre grand soulagement, l’arbitre trancha en notre faveur, et dans la foulée l’appel d’offres fut annulé.IL fut finalement décidé de retourner à la case départ pour un appel d’offres CEB avec le Consultant EDF. Le choix initial du Consultant était encore une fois pour un moteur SULTZER.
Toutefois le Président du CEB, Monsieur S. Kasenally demanda à un Consultant Singapourien DRPL, une réévaluation indépendante des offres reçues. Ce Consultant, appliquant une méthodologie différente de celle du Document d’appel d’offres, avait conclu que la meilleure offre était celle d’une entreprise Danoise B.W.S.C, proposant un moteur B&W Mitsui du Japon de 30 MW. Le Contrat fut donc signé avec BWSC tout en gardant L’EDF pour le suivi de l’exécution du projet.
Le changement du Maitre d’œuvre comportait quelques modifications
notables, de la conception à savoir :
Des cheminées culminant à 65 mètres pour respecter les nouvelles
exigences d’environnement par rapport au Fuel utilisé:
➢ La conception comportait également des cellules intermédiaires 11KV avant les transformateurs élévateurs à 66KV.
➢ Une Façade avant de la salle des machines comportant des éléments, amovibles en béton, pour un démontage du moteur et de l’alternateur, en vue de leur éventuel retrait de la salle des machines, car la capacité de levage du pont roulant choisi ne le permettait plus, comme pour les deux premiers moteurs.
➢ Un nouveau bâtiment dédié pour les pièces de rechange
➢ Une mise à, niveau du système de décantation pour les effluents d’hydrocarbures pour cinq moteurs.
➢ Un nouveau stockage de 3x5000M3 pour le combustible, avec une mise à niveau des pompes de transfert fuel du site.
➢ Une structure avec Charpente métallique pour le génie civil de la salle des machines.
Comme pour la réalisation de la phase une, quelques difficultés techniques
furent rencontrées, sans toutefois avoir une incidence sur les délais
contractuels de mise en service du moteur et à savoir :
➢ Le remplacement de toute la structure métallique de support de la toiture de la salle des machines par un assemblage boulonné, au lieu d’une structure soudée initialement, ou des fissures étaient constatées. Une mobilisation exceptionnelle de BWSC devait permettre une opération rapide et hors norme.
➢ Le remplacement de l’exutoire d’aération de la salle des machines, incorporant des volets motorisés, pour une étanchéité acceptable par mauvais temps.
En effet de sérieuses infiltration d’eau avait été constatés pendant les temps de pluies avec un exutoire a volets fixes, initialement installé.
Le nouveau moteur fut mis en service dans les délais prévus. Toutefois des
aléas techniques importants furent enregistrés juste après la mise en service,
nécessitant des indisponibilités importantes du groupe pour les mesures
correctives au titre de la garantie contractuelle. Et en particulier,
➢ Une défaillance du TCS (Turbo compound System), système de récupération d’environ 500KW, par une petite turbine auxiliaire mue par les gaz d’échappement. Ce problème ne fut jamais pleinement résolu, car lié à la conception même de ce système, avec une incidence sur le rendement du moteur.
➢ Défaillance des turbosoufflantes, nécessitant leur remplacement. En effet j’avais constaté dans l’offre initiale que les moteurs cités comme référence, n’étaient pas équipés de mêmes turbosoufflantes que celles fournies, et j’avais heureusement insisté pour une réserve contractuelle à ce sujet.
➢ Des microfissures des cylindres de la chambre de combustion, nécessitant leur remplacement.
La dernière phase de la Centrale pour deux moteurs B&W à être installés sur les
massifs déjà réalisés dans la phase deux, fut réalisée par l’entreprise Sud-
Coréenne HYUNDAI, un géant mondial de la construction navale, après un
appel d’offres international en bon et due forme.
Cette société était une licenciée pour la fabrication des moteurs B&W, mais
avait apporté de nombreuses modifications sur les pièces moteurs, a l’instar
des culasses, injecteurs, coussinets de paliers de l’arbre manivelle…ce qui
rendait impossible l’interchangeabilité des pièces avec le moteur de Mitsui.
Ainsi, la Centrale de Fort-George était équipé de trois types de tranches différentes, apportant une difficulté pour la gestion des pièces de rechanges. Malgré une certaine appréhension de départ, les deux derniers moteurs furent mis en service en l’an 2000, dans les délais contractuels, sans aléas techniques, et ont depuis été les meilleurs moteurs de la centrale en termes de performance et disponibilité technique.
Le montage de ces deux derniers groupes, fut malheureusement ponctué par les accidents de Chantier avec la mort de deux soudeurs coréens, alors qu’ils travaillaient sur le circuit de refroidissement extérieur des moteurs.